Maheu on Cole, 'The New Racism in Europe: A Sicilian Ethnography'


Jeffrey Cole. The New Racism in Europe: A Sicilian Ethnography. Cambridge and New York: Cambridge University Press, 1997. xi + 153 pp. $54.95 (cloth), ISBN 978-0-521-58493-7.

Reviewed by Eric Maheu (Department of Anthropology, Université de Montréal, Canada)
Published on H-SAE (May, 1999)

La construction de l'Autre dans la vie quotidienne

De plus en plus, avec la croissance démographique et la modernisation et avec elles la montée du tourisme et de l'immigration, les humains sont en contact avec des humains d'autres cultures. Les grands mouvements migratoires qui affectent notre planète à l'heure actuelle font en sorte que l'Italie, hier encore pays d'émigration, est désormais devenu une terre d'immigration. D'où une situation résolument nouvelle que l'auteur de cet ouvrage a eu l'excellente idée d'étudier sur le terrain.

Cet ouvrage, basé sur un travail de terrain effectué dans le cadre d'une thèse de doctorat, paraît stimulant et intéressant à plus d'un titre et offre des perspectives nouvelles sur la construction quotidienne d'opinions sur l'Autre. Il pèche cependant par son titre un peu mystifiant et par un certain manque de cohérence entre ses sections.

Le titre de cet ouvrage demeure énigmatique et ne semble guère pouvoir s'expliquer que par quelque artifice de marketing dans la recherche d'un vaste public. En effet, s'affichant un livre sur le nouveau racisme en Europe, il traite essentiellement de la xénophobie en Sicile et sa démonstration la plus pertinente est précisément d'expliquer pourquoi les Siciliens n'adhèrent pas au nouveau racisme européen, qui cherche à dénigrer les étrangers non plus sur la base de leur race, ce qui serait potentiellement illégal ou sinon perçu comme illégitime, mais plutôt en se fondant sur la nécessité de protéger les cultures des populations impliquées.

Le premier chapitre du livre met en place la méthodologie le contexte et precise les objectifs. L'essence de ce livre est basé sur un travail de terrain qui veut illustrer comment les Palermitains perçoivent l'immigration. Les migrants sont-ils une menace? Y aurait-il un parallèle perceptible chez les Palermitains entre le flux migratoire actuelle vers la Sicile et la migration massive des Siciliens plus tôt en ce siècle? De nombreux éléments de l'arrière-plan historique et culturel permettent a priori d'expliquer le constat de départ de l'auteur. Premierement, le nouveau racisme européen ne mord pas en Sicile. Deuxiemement, on n'y compte guère d'incidents ou de manifestations racistes et que le vote raciste s'y révèle infinitésimal. Parmi ces éléments, soulignons au premier plan: le passé d'immigration des Siciliens, le passé fasciste de l'Italie et les faits que les Siciliens en général se perçoivent eux-mêmes victimes de discrimination voire faire l'objet de racisme de la part de leurs compatriotes du Nord. La perspective historique aurait ici gagnée à être élargie. En effet, La Sicile a été l'objet d'une série de conquêtes étrangères, parfois accompagnées de colonisation, et on peut penser que ces contacts séculaires avec les étrangers auront laissé quelques traces.

Le chapitre deux, basé sur une recherche de terrain faite d'observation participantes et d'entrevues informelles, expose les réactions des Palermitains de la classe ouvrière vis-à-vis les étrangers d'Afrique et d'Asie. L'hostilité envers les étrangers est le plus souvent étudié à travers les médias ou dans le discours des hommes politiques. Une ethnographie de la xénophobie dans la vie quotidienne constitue une très heureuse initiative. Le portrait de la Sicile reprend les thèmes habituels du clientélisme, de l'art de se débrouiller ("arrangiarsi"), de la violence chez les pauvres, reflet de la violence des relations de classe, et de l'insécurité consécutive de la difficulté des conditions de vie. Les réactions parfois négatives des ouvriers palermitains vis-à-vis ces étrangers naissent à travers la compétition avec eux pour l'emploi ou le logement et d'une incompréhension générales de plusieurs comportements mais ne correspond en rien à une caractérisation raciste des populations migrantes. Les données d'un sondage réalisé par l'auteur dans des écoles renforcent cette conclusion. Encore qu'on ne puisse que renchérir dans le sens de l'auteur lorsqu'il écrit (p. 50) que son statut d'intellectuel a pu rendre les gens pour le moins prudent dans l'expression d'opinions sur la race et l'immigration.

Outre le fait que la classe ouvrière pense(nt) que l'immigration contribue à l'économie, ces sondages révèlent également d'une part que les ouvrières eux-mêmes favorisent l'immigration et d'autre part qu'ils appuient les politiques pro-immigrants du gouvernement italien. Toutefois, les opinions des ouvriers palermitains vis-à-vis l'immigration semblent en fait fort mitigées. Deux tendances contradictoires emergent des sondages. Premierement, ils perçoivent les migrants comme quelque peu menaçants dans le marché de l'emploi, deuximement ils déplorent leurs mauvaises conditions de travail et s'accordent à dire que les migrants occupent des emplois <que> (dont) les autochtones rejettent.

Les résultats de l'enquete montrent qu'on ne perçoit pas généralement de symétrie entre la migration sicilienne et l'immigration en Sicile. La migration, comme une histoire à succès, est elevee au rang de myth<e>. Les Siciliens ont apporté une culture et savoir faire dans leurs d'accueil. Ills y ont réussi économiquement. A l'oppose les migrants d'Afrique et d'Asie sont plutôt perçus comme sans ressources et sans Histoire. Que les migrants siciliens aient souvent été perçus avec dédain semble échapper aux Siciliens. Nous pouvons soupçonnons, <que> c'est parce qu'on ne leurs a jamais dit. Par contre, le sentiment d'être dénigré et victime de comportements racistes par les Italiens du Nord contribuerait à la tolérance envers la migration.

Le chapitre suivant cherche à illustrer le point de vue de la bourgeoisie de Palerme, en le contrastant avec l'opinion de la classe ouvrière. Les principaux contacts entre les bourgeois et les migrants ont lieu dans le le cadre du travail domestique. L'enquête se fonde essentiellement sur deux sondages conduits respectivement dans un lycée prestigieux et à l'université de Palerme. A l'enquete, (il) s'(y) ajoute une série d'entretiens dont la population a ete selectionnee dans un échantillon type boule de neige, compose de professionnels rencontrés durant l'étude. Les opinions des étudiants paraissent radicalement favorables aux immigrants et semblent etre résolument universalistes. Cole présente ces vues comme le résultat d'une parfaite internalisation des normes contre le racisme et aussi comme une façon progressiste de s'auto-presenter, tout en se distinguant clairement des opinions plus rétrogrades des classe ouvrière.

L'idéologie bourgeoise, ouvertement anti-raciste montre-t-il, est contredite par la réalité factuelle de l'exploitation des immigrants, et par le fait que les bourgeois leur attribuent toutes sortes de qualités peu favorables si l'on en croit différentes données tirées d'une autre étude. On associe aussi groupe culturel et qualité spécifique d'où une hiérarchie explicite des travailleurs domestiques. Grand<s> défenseurs de la méritocratie, les bourgeois sont néanmoins les grands bénéficiaires de la structure de classe inégale.

Le dernier chapitre est essentiellement une excellente recension des écrits, surtout du corpus de la presse italienne relatif a l'agitation raciste récente en Italie et de sa récupération politique, le tout présenté dans le cadre englobant du racisme européen. Ce racisme, bien sûr, n'est pas généralisée à l'ensemble de la population italienne. L'auteur présente egalement les nombreuses institutions et associations, souvent syndicales ou liées à l'église catholique qui militent contre le racisme. Ce chapitre renforce l'argument de l'auteur sur les fondements du non-racisme sicilien. La xénophobie en Italie va de pair avec le sentiment anti-Sud. Les gens du Sud ne peuvent donc adhérer facilement aux idées xénophobes (et)eprouv (e)<a>nt au moins partiellement une solidarité avec les immigrants.

Bien que l'ouvrage se présente comme une ethnographie du racisme, le lecteur demeure quelque peu incertain à la fin de sa lecture; a savoir si la population ethnographiée par Cole est raciste ou si elle croit à la supériorité de sa race sur les autres. En vérité, on ignore même si elle adhère au racialiste, à l'idée que l'espèce humaine peut être divisée en race et que cette division est importante et pertinente. On comprend cependant que l'auteur lui adhère au racialisme et le considère comme non problématique. En effet, on découvre çà et là, qu'il considère sa population d'étude comme blanche. Aucun commentaire n'est fait à l'effet de l'arbitraire de la catégorisation comme Noir ou Blanc. On n'y mentionne pas, par exemple, que les migrants du Sud de l'Italie ont été classés comme Noirs aux États-Unis.[1] Aucune référence <n'>est faite aux critiques aiguës des biologistes et d'anthropologues à l'égard de la notion même de race humaine et du caractère hautement arbitraire des très diverses classifications raciales qui ont vu(es) le jour jusqu'à présent.[2]

A notre avis, la rigueur intellectuelle demanderait qu'on distingue le racisme de la xénophobie et de l'ethnocentrisme. La seule définition que l'auteur nous offre du racisme est celle de Balibar "[...] racism refers to both ideologies and practices that serve to rank and naturalize populations." Elle nous paraît à la fois tardive (p. 46) et courte. Ce manque de rigueur se traduit dans la seule question (p. 134) portant vraiment sur le racisme dans le questionnaire qui demande:

"Select a sentence:

a A person's race is important ant the white race is best, or

b A person's race is unimportant."

Une telle question fermée qui ne trouve aucune espèce de justification dans la démonstration ethnographique précédente d'une croyance racialiste (de)<chez> la population étudiée, nous paraît plus que douteuse. Elle suppose et en l'occurrence impose, la croyance en l'existence de races humaines. Celle-ci devrait précisément constituer l'objet d'investigation d'une étude sur le racisme.

Soulignons également l'inconsistance logique de cette question duale. On peut penser qu'une autre race que la "blanche" est la meilleure. On peut définir les races sans utiliser la couleur comme trait unique ou principal. On peut penser même que les races sont foncièrement égales au sens ou on dit que les hommes et les femmes sont égaux.

Plus globalement, des interrogations méthodologiques surgissent dans notre esprit du fait que ce questionnaire est administré à une population d'étudiants qui n'était pas particulièrement considérée dans l'ethnographie jusqu'à lors. Cette population semble avoir été choisi pour être soumis à un questionnaire essentiellement en raison de son aspect captif qui facilite et accélère infiniment le processus de recherche.

Or du point de vue méthodologique, l'intérêt de l'utilisation de questionnaire, à un certain stade de l'étude ethnographique, vient du fait que ce questionnaire pourra être fécondé par les travaux d'observations et d'entrevues. Ces-derniers conduits de telle sorte qu'on pourra vérifier des hypothèses et préciser des catégories qui auront surgi dans des phases antérieures de la recherche. Ce n'est pas vraiment le cas avec ce questionnaire, d'où des résultats hautement prévisibles et apportant peu d'informations nouvelles. De plus la position de l'auteur vis-à-vis les résultats est aussi un peu troublante. Si on avait exprimé des opinions xénophobes cela aurait révélé de la xénophobie, mais puisqu'on se refuse à le faire, c'est qu'on aura appris que ces opinions ne sont pas publiquement acceptables ... Ce qu'on apprend essentiellement, et vraiment on s'en doutait, c'est que la présentation de soi occupe plus d'importance dans la bourgeoisie que dans la classe ouvrière.

Cole nous convainc néanmoins de l'existence de points de vue différents entre la classe ouvrière et la bourgeoisie. La question cependant de savoir si d'autres facteurs que la richesse ou l'éducation pourrait constituer une variable pertinente est entièrement ignorée. Tous ne seront pas satisfaits de cette division de la société entre deux groupes, selon une terminologie que les principales sources idéologiques de l'auteur, Balibar et Wallerstein, emploient toujours mais qui peut paraître pour le moins dépassée(s).

Notes:

[1]. Robert F. Harney (1993: 47) signale que " [...] the 1911 Dillingham Commission of the United States Senate asserted the importance of Negroid admixtures in the Neapolitan and Sicillian populations, not just as an explanation of appearance but also of behaviour and proclivities. In From the Shore of Hardship: Italians in Canada Toronto: Centro Canadese Scuola e Cultura Italiana"

[2]. Mentionnons par exemple: Albert Jacquard (1978), Éloge de la différence: la génétique et les hommes Paris: Seuil. Jacques Ruffié (1976), De la biologie à la culture Paris: Flammarion. Christian, Delacampagne (1983) L'invention du racisme, Paris: Fayard. Denis Blondin (1994) Les deux espèces humaines: Une autopsie du paradigme occidental Montréal: L'Harmattan.

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Citation: Eric Maheu. Review of Cole, Jeffrey, The New Racism in Europe: A Sicilian Ethnography. H-SAE, H-Net Reviews. May, 1999.
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