Blanchon on Guyot, 'Rivages zoulous: L'environnement au service du politique en Afrique du Sud'
Sylvain Guyot. Rivages zoulous: L'environnement au service du politique en Afrique du Sud. Paris: Karthala, 2006. Illustrations. 250 pp. EUR 22.00 (paper), ISBN 978-2-84586-767-3.
Reviewed by David Blanchon (Department of Geography, University of Paris 10-Nanterre) Published on H-SAfrica (May, 2012) Commissioned by Myriam Houssay-Holzschuch
Zulu Shores
L’ouvrage est le fruit d’un minutieux travail de terrain que Sylvain Guyot a mené pour son doctorat dans le nord du Kwazulu-Natal, sur la zone côtière s’étendant de Richards Bay à la frontière du Mozambique. La richesse des exemples proposés, les nombreux portraits et récits de vie exposés tout au long de l’ouvrage, le nombre impressionnant d’entretiens sont la marque d’une connaissance précise des lieux et de leur histoire. L’auteur propose une lecture de l’espace sud-africain qui dépasse les oppositions classiques entre groupes culturels anglais, afrikaners et zoulous, pour introduire de nouvelles lignes de clivage explicatives d’ordre social, économique, territorial ou encore environnemental. SylvainGuyot nous guide à travers ces complexes rivages zoulous en utilisant plusieurs angles d’approche utilisés pour étayer son hypothèse centrale: les conflits environnementaux sont d’abord des conflits territoriaux. En se fondant sur les discours des acteurs locaux, l’auteur démêle les conflits qui déchirent ce littoral partagé entre la logique environnementale portée vers la préservation d’un patrimoine naturel et secondairement le tourisme et la logique industrielle axée sur l’extraction et la transformation des ressources naturelles.
L’ouvrage s’ouvre sur des enquêtes de terrain menées dans le port de Richards Bay, zone industrialo-portuaire créé en 1976, et les zones protégées de St. Lucia et de Kosi Bay, situées sur le littoral, en marge de l’ex-bantoustan du Kwazulu. Le parti pris méthodologique est clairement affiché: il ne s’agit pas de prendre la posture surplombante de l’expert, mais de partir du point de vue des acteurs locaux. Le sous-titre “Pollution mythe ou réalité?” qui traite également les déclarations des écologistes et des industriels est le témoin de cette méthode. Il peut parfois laisser sur sa faim le lecteur avide de certitudes, mais permet de faire émerger les représentations sous-jacentes. C’est ainsi au détour d’une question sur la pollution industrielle qu’une habitante blanche, par ailleurs ex-conseillère municipale, “avoue” que le problème principal de la plage est sa fréquentation “par la majorité de la population,” très largement noire (p. 49). Si le lecteur est un peu perdu après cette abondance de témoignages, le troisième chapitre vient justement démêler les jeux d’acteurs, en proposant plusieurs grilles d’interprétation: on notera à ce propos l’utilité des tableaux de synthèses qui permettent de faire un point dans le maquis de représentations et des positionnements des différents acteurs.
La deuxième partie, intitulée “La genèse des conflits, entre héritages et changements,” plus courte, donne des clés d’interprétation des conflits abordés précédemment, notamment avec l’histoire de la région (le temps long) et les transformations territoriales opérées depuis l’arrivé au pouvoir de l’African National Congress (ANC) en 1994: délimitation des nouvelles municipalités, nouveaux découpages des zones protégées. L’auteur revient notamment sur l’héritage laissé par les années d’apartheid, et notamment les politiques de protection de la nature mise en place à cette époque, l’ “apartheid vert” qui vise à exclure les populations non blanches des espaces naturels pour les laisser au seul bénéfice des colons (p. 152). Ce lien entre protection de la nature et apartheid explique pourquoi la régulation des conflits, abordée dans la troisième partie, est si problématique aujourd’hui. Dans un premier temps, Sylvain Guyot dresse une typologie des acteurs dans les deux dimensions que sont le “territoire-zone” et le “territoire-réseaux,” typologie complexe (six groupes et neuf variables), mais qui permet de remettre en perspective les témoignages de la première partie. Elle donne le poids démographique de ceux que l’auteur nomme “captifs” (ceux qui n’ont pas de moyens de bouger, faute de véhicules, et qui dépendent donc des ressources et des réseaux locaux), face aux parvenus et notables, qui, bien que très minoritaires, sont les plus actifs dans les nouveaux modes de “gouvernance” mis en place depuis 1994. Le jugement de l’auteur sur la participation est d’ailleurs sans appel: un échec “contenu dans la définition et les pratiques mêmes de la participation” (p. 222). Celui sur les politiques de développement durable n’est pas moins cinglant, dénonçant “tout le bruit autour du développement durable [qui] est une immense mascarade organisée par les nantis et les ayants droits pour masquer le vide du projet de société actuel” (p. 224). Cette mascarade étant elle-même, selon l’auteur, le fruit d’une confusion entretenue autour de la complexité “instrumentalisée.”
Dont acte: la connaissance très poussée du terrain de l’auteur donne du crédit à ces affirmations. On regrette cependant qu’elles ne soient pas plus liées aux entretiens menés dans la première partie. Il aurait été intéressant de replacer les acteurs face à l’échec affirmé des nouvelles politiques de régulation et de voir quelles sont leurs propositions.
En conclusion, l’auteur livre une vision pessimiste de l’Afrique du Sud post apartheid, où, si la transition politique (le temps court) s’est effectuée sans heurts, les héritages du passé ne sont pas soldés. Il appelle ainsi en filigrane, pour le temps long, un nouveau contrat social et environnemental pour résoudre les compétitions territoriales exacerbées qui déchirent les rivages zoulous. Au final, la multiplicité des angles d’attaque permet au lecteur d’avoir une vision précise des conflits des rivages zoulous. Le territoire sert de fil directeur à ce foisonnement d’idées avancées par l’auteur. Certaines, sur l’écologie et la poursuite de l’apartheid vert, sur le rôle de l’ANC après 1994, sur la perpétuation des inégalités, sur l’échec de la participation sont discutables. La description des “impostures” dans le comportement des environnementalistes est par un exemple un jugement de valeur qui tranche avec la méthode descriptive employée jusqu’alors (p. 130) .
Mais à chaque fois qu’un débat est ouvert, Sylvain Guyot exprime clairement son point de vue et permet au lecteur de se forger sa propre opinion. C’est ce qui rend la lecture de l’ouvrage particulièrement enrichissante: il apporte une contribution remarquable aux débats sur les politiques environnementalistes dans les pays du Sud et donne au lecteur l’envie d’en savoir plus.[1]
Note
[1]. On pense notamment aux ouvrages de Georges Rossi, L’ingérence écologique: Environnement et Développement rural du Nord au Sud (Paris: CNRS éditions, 2003); et Christian Castellanet, Estienne Rodary, et Georges Rossi, eds., Conservation de la nature et développement: L’intégration impossible? (Paris: GRET-Karthala, 2003).
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Citation: David Blanchon. Review of Guyot, Sylvain, Rivages zoulous: L'environnement au service du politique en Afrique du Sud. H-SAfrica, H-Net Reviews. May, 2012. URL: http://www.h-net.org/reviews/showrev.php?id=24817
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